Luberon Nature Info – Juin 2025

Luberon Nature Info – Juin 2025
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Depuis 2018, les riverains de la carrière Sylvestre, sur les territoires d’Oppède et de Maubec, subissent le vacarme occasionné par ses activités de concassage. Non seulement leurs plaintes n’ont pas abouti, mais depuis 2020 l’entreprise s’est lancée dans de nouvelles activités : transport routier (non déclaré), installation industrielle (non classée pour la protection de l’environnement), stockage exponentiel des déchets de la construction (passé sans autorisation de 75 à 300 m3), avec comme conséquences, outre une pollution sonore insupportable pour les riverains, la détérioration des sols, des risques accrus d’inondation, une poussière envahissante et un impact désastreux pour la flore et la faune.

Les municipalités d’Oppède et de Maubec ont signalé à la préfecture toutes ces irrégularités réglementaires et environnementales. En vain. Un comité de suivi a été créé, une procédure STECAL1 a été lancée en 2020 pour tenter d’encadrer ces activités. Elle a été arrêtée en 2023 sans avoir abouti à un résultat concret. Il semble que la préfecture ne parvienne ni à faire respecter la règlementation, ni à imposer des sanctions. Sylvestre, mettant en avant son rôle d’employeur et de contributeur économique, refuse toute limitation et menace à chaque fois d’actions judiciaires.

La carrière Sylvestre n’est pas un cas isolé. Dans le sud Luberon, trois entreprises de traitement des déchets inertes empoissonnent l’environnement et la vie de leurs riverains, avec à chaque fois l’aval des pouvoirs publics.

A Ansouis, la mairie a modifié le PLU en détournant la loi. Elle a créé un STECAL pour permettre à l’entreprise de travaux publics Amourdedieu d’installer une station de concassage et de stockage des déchets du bâtiment sur un terrain agricole, avec les mêmes conséquences qu’à Oppède. Luberon Nature et des riverains ont engagé deux procédures distinctes, l’une pour contestation de ce STECAL auprès du tribunal administratif, l’autre pour plainte au civil pour troubles de jouissance.

A Vaugines, Luberon Nature s’était inquiétée auprès de la DREAL de ce que la carrière Bergier, désormais fermée, accueille sur son site une centrale à béton, une usine de blocs de béton et surtout un centre de valorisation des déchets inertes non ICPE (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement). Bergier vient tout juste de régulariser sa situation. Luberon Nature a signalé en vain aux autorités les risques que ces activités pouvaient faire encourir à la population du fait de leur implantation à proximité de la source du Couturas qui alimente Lourmarin en eau potable.

A Puyvert, les sociétés Arnaud, spécialisées dans « le traitement et l’élimination des déchets non dangereux » concassaient et stockaient depuis des années des déchets inertes et polluants sur des terres agricoles proches de la Durance. Après trois ans de procédure, Luberon Nature et l’association CEVDAB (Collectif environnement vallée de la Durance et de l’Aigue Brun) de Puyvert ont obtenu gain de cause fin 2024. Les deux sociétés Arnaud ont été contraintes de cesser leurs activités et de remettre le terrain en état.

Enfouissement de déchets plastiques dans la terre des prairies de Puyvert par L'entreprise Arnaud.
Enfouissement de déchets plastiques dans des terres agricoles de Puyvert par la société Arnaud.

L’entrepreneur s’est contenté de labourer la terre pour dissimuler les tonnes de déchets qui y étaient enfouies, puis l’a recouverte d’une nouvelle couche de terre, rendant sa décontamination encore plus difficile. Ces parcelles sont maintenant couvertes de luzerne. La DREAL a constaté que la remise en état n’avait pas été réalisée. Elle a missionné un bureau d’études qui a réalisé des prélèvements à différents emplacements. Nous sommes dans l’attente des résultats des analyses.

A Roussillon enfin, les riverains de la carrière Sainte-Croix, soutenus par Luberon Nature, avaient gagné devant le Conseil d’État leur procès contre la société Saint-Saturnin Roussillon Ferme qui projetait de créer une centrale photovoltaïque sur ce site sensible d’un point de vue écologique et paysager. Saint-Saturnin Roussillon Ferme devait aussi remettre le site en état pour permettre la reprise d’une activité agricole. Or les riverains viennent d’apprendre que la mairie de Roussillon prépare une modification du PLU pour autoriser l’entreprise à pérenniser ses « activités de traitement et de transit de matériaux sur le site », activités qu’elle mène déjà depuis plusieurs mois en toute illégalité. Lors de l’enquête publique, close le 15 mai dernier, Luberon Nature a adressé des observations très motivées au commissaire enquêteur.

Parfois, comme à Oppède, les entrepreneurs profitent de failles dans la rédaction des PLU pour contourner la loi.

Parfois aussi les municipalités ferment volontairement les yeux sur ces activités illégales, ou même les couvrent délibérément. Les activités de traitement des déchets, désormais obligatoires, sont lucratives mais elles doivent être très encadrées. Or les moyens de contrôle sont insuffisants et ne sont pas soutenus par une réelle volonté politique.

Toutes ces entreprises bénéficieraient-elles de traitements de faveur ? C’est évident pour Arnaud, tacitement soutenu par la mairie de Puyvert, pour Amourdedieu et Gravisud : les municipalités d’Ansouis et de Roussillon veulent modifier leur PLU pour permettre leur activité. A Oppède en revanche, les appuis semblent se situer à un autre niveau puisque la mairie s’est inquiétée des activités illégales et perturbantes pour les riverains de l’entreprise Sylvestre.

Pour quelles raisons les pouvoirs publics soutiennent-ils avec tant de constance des activités néfastes pour l’environnement ? La mairie de Roussillon justifie sa demande de modification du PLU par la nécessité de limiter « le trafic des engins de chantiers pour le transport des matériaux » et de « réduire les émissions de CO2 du fait d’une réduction des déplacements vers des plateformes plus éloignées » : une argumentation étonnante, le village de Roussillon ne se signalant pas par la multiplicité de ses projets immobiliers. En fait toutes ces entreprises se situent à distance des fournisseurs comme de la clientèle des grands centres de construction. La circulation intense de gros poids lourds sur les petites départementales qui desservent le Parc Naturel régional du Luberon cause même d’importants problèmes de sécurité et d’entretien des voiries, notamment autour de Vaugines ou d’Ansouis. Elle a fait l’objet de plusieurs réunions en sous- préfecture, là encore sans résultat concret.

La municipalité de Roussillon évoque aussi la nécessité de « maintenir l’activité économique sur le territoire » : une préoccupation louable, mais quels sont les bénéfices réels pour la commune ? Elle n’en retire que des nuisances, du bruit, de la poussière et une noria de camions et de véhicules de chantier. Certes ces activités sont créatrices d’emplois, mais quels emplois et à quel prix ? A Oppède, un accident grave est survenu en 2022 : le décès d’un employé qui travaillait sur une machine non entretenue, en l’absence des mesures de sécurité minimales. Cet accident n’a même pas donné lieu à une fermeture administrative. L’inspecteur du travail a conclu à une « défaillance structurelle de la régulation publique.

Les pouvoirs publics veulent réduire les décharges sauvages. Par ailleurs la France, qui produit 46 millions de tonnes de déchets du bâtiment par an, s’est engagée à recycler 70% des déchets du bâtiment, un objectif fixé par la directive cadre européenne de 2020. Elle en recycle pour le moment 67%, un résultat a priori honorable mais qui cache des pratiques contestables. Il faudrait réduire la production et la nocivité de ces gravats, mieux les recycler, mieux les contrôler, limiter les distances de transport, mieux faire respecter la règlementation… autant d’objectifs difficiles à atteindre alors que la production des déchets du bâtiment ne cesse de croître et que le respect de l’environnement est de moins en moins une priorité. En attendant, il serait possible de contrôler systématiquement les déclarations d’ICPE, notamment leur conformité avec le PLU, lorsque les associations et les riverains en font la demande, de fixer un délai d’intervention de la DREAL et de donner davantage de pouvoirs aux préfets sur ces questions… mais s’agit-il vraiment d’une de leurs priorités ?

Préserver les zones naturelles est pourtant une nécessité. Dans les zones industrielles, trop polluées, le sol, même s’il n’est pas artificialisé, ne peut pas absorber la pollution, jouer son rôle de filtre et contribuer à la dégradation ou à la rétention des polluants. Le risque de contamination des nappes phréatiques est évident.

La biodiversité – végétaux, micro-organismes qui alimentent la vie sous terre – est détruite de façon irréversible. Le sol ne peut plus remplir ses fonctions essentielles pour la biodiversité, la fertilité, l’eau et même le climat.

Le traitement et le stockage des déchets des bâtiments ne doit être autorisé que sur des zones déjà artificialisées, dégradées et polluées. Or il semble que le sud Luberon soit devenu une zone de déversement de déchets en provenance d’autres départements, notamment les Alpes maritimes, le Var et les Bouches du Rhône. Les terres fragiles et protégées du Parc Naturel régional du Luberon ne peuvent pas devenir les poubelles du bâtiment.

La protection de son territoire est la mission essentielle du Parc, sa raison d’exister. La remplit-il vraiment ? La réponse n’est pas toujours évidente. Sur ce sujet au moins, il importe qu’il se positionne clairement. Les associations et les riverains ont besoin de son soutien et de sa médiation dans leur dialogue avec les pouvoirs publics.

  1. Les STECAL – Secteurs de Taille Et de Capacité d’Accueil Limitées dans les PLU (plans locaux d’urbanisme) sont destinés à permettre de gérer des activités existantes dans une zone agricole et naturelle. Dans la mesure où ils permettent de nouvelles constructions dans des zones où elles sont normalement interdites, les STECAL se sont avérés une source de dérives importantes. ↩︎
Dans le Luberon, l’incompréhensible prolifération des centres de concassage et de stockage des déchets du bâtiments